Révéler les filtres beauté sur les réseaux sociaux pour améliorer l’image de soi
Emma Déry
Les filtres beauté sont utilisés de manière croissante. Ils fonctionnent à l’aide d’algorithmes. En un seul clic, il est possible d’unifier la peau, de faire disparaître les imperfections, d’amincir le visage, de grossir les yeux, etc. Cela crée des représentations corporelles erronées et maintient des standards de beauté irréalistes. Un impact majeur est observable chez les jeunes. En effet, l’utilisation de filtres beauté peut nuire à l’estime de soi et même engendrer de la dysmorphophobie.
Le problème des filtres beauté
Le psychologue montréalais Marc-André Bernard, spécialiste en trouble d’anxiété, qualifie ce trouble comme : « l’obsession d’une dysmorphie corporelle, dont ceux et celles aux prises avec ce trouble affichent une préoccupation démesurée pour une partie de leur corps ». Dans une entrevue pour Radio-Canada, le psychologue ajoute que ceux vivant dans un environnement où l'apparence est mise en importance ont tendance à développer de la dysmorphophobie. Cela rappelle l’environnement des réseaux sociaux qui se focalise sur l’apparence physique. Ensuite, il est à noter qu’il manque de recherches et de données sur ce trouble au Québec. Aux États-Unis, en 2018, une étude publiée dans JAMA Facial Plastic Surgery Viewpoint suggère que 1 personne sur 50 est touchée par ce trouble dans la population générale. De plus, la dysmorphophobie engendrée par les filtres pousse graduellement certains individus à faire recours à une chirurgie plastique. Au Royaume-Uni, en février 2018, le journal The Independent annonce que les chirurgiens remarquent une augmentation de patients qui désirent ressembler à leur image numérique. On va même jusqu’à nommer ce trouble de « dysmorphophobie Snapchat », étant un réseau social qui permet l’utilisation de ces filtres. Ainsi, il est plus difficile que jamais d’entretenir une vision réaliste de soi face à cet enjeu de taille.
L’énonciation des filtres
Une solution possible pour ce problème est l’énonciation des filtres chaque fois qu’ils sont utilisés sur les réseaux sociaux. En informant de manière précise et transparente les utilisateurs, il devient possible de limiter les troubles d’image corporelle liés aux filtres beauté. Laurie Balbo, professeur-chercheuse au département de marketing social de l’université de Grenoble, se penche sur cette solution. L’Agence nationale de la recherche, une agence qui soutient la recherche publique et la recherche partenariale en France, finance les recherches de Mme Balbo sur les effets négatifs des images digitales.
« La plupart des applications, des logiciels et des réseaux qu’on utilise ont la technologie qui permet de savoir si une image est retouchée. », explique la chercheuse française. Cela signifie qu’un algorithme peut mentionner automatiquement l’usage de filtres au bas d’une photo ou vidéo, sans l’intervention de la personne qui publie.
Mme Balbo fait le lien entre la publicité dans les magazines et les réseaux sociaux. Les mentions de retouches dans les magazines sont présentes, mais elles sont en petite taille et cachées dans la reliure, donc pratiquement introuvables. Sur les réseaux sociaux, les mentions sont plus évidentes et facilement reconnaissables.
La mention de l’utilisation d’un filtre se fait déjà sur les stories Instagram et Facebook, sur les vidéos Tik-Tok et sur les photos ou vidéos Snapchat. Néanmoins, les filtres ne sont pas énoncés sur les publications de la page d’accueil des plateformes.
La solution appliquée
Cette solution n’est toutefois pas encore répandue mondialement. Certains États préfèrent interdire les filtres, plutôt que de compter sur l'auto-régulation des réseaux sociaux. C'est le cas du Royaume-Uni où l’Autorité des normes de publicité (ASA) a décidé d’interdire l’usage des filtres beauté aux influenceurs lorsqu’ils font des publications commerciales, c’est-à-dire, dans l’objectif de vendre un produit. Cette règle est en réaction à la campagne #filterdrop de Sasha Louise Pallari sur Instagram, une maquilleuse professionnelle et influenceuse britannique comptant plus de 43 000 abonnés sur cette plateforme. En juillet 2020, la maquilleuse lance la campagne, désirant « laisser tomber les filtres » pour promouvoir la beauté naturelle sur les réseaux. Elle ne voulait plus voir l’utilisation de filtres beauté à des fins commerciales, cela engendrant de la fausse publicité. Avec des millions de publications sur la plateforme, le mouvement a permis l’encadrement des filtres au Royaume-Uni.
Exemple d’une publication de Sasha Louise Pallari, sans filtre, publiée le 3 février 2021. En janvier 2021, l’Autorité des normes de publicité au Royaume-Uni bannit les filtres beauté pour toutes publications commerciales.
L’implication des réseaux sociaux est aussi importante pour le bon fonctionnement de cette solution. Par exemple, en octobre 2019, Facebook a banni les filtres de distorsion faciale. En août 2020, le réseau a aussi banni les filtres qui promeuvent explicitement un effet semblable à la chirurgie plastique. En Norvège, les influenceurs doivent obligatoirement signaler toutes leurs photos retouchées sur toutes les plateformes, lorsque la publication est commerciale. L'engagement croissant de certaines plateformes se fait sentir.
Les limitations et impacts
En dépit de l’implication progressive des réseaux, la solution comporte des limites : il manque de régulations pour encadrer l’utilisation des filtres et de recherches sur l’impact de ces derniers. Ainsi, même si les filtres sont énoncés sous une photo, il demeure cette aspiration à ressembler physiquement à l’image numérique modifiée de soi. Et même avec la mention retouchée, il est facile de prendre une photo filtrée, de l’enregistrer et de la republier pour que la mention ne s’affiche pas. Il faudrait alors une intelligence artificielle qui détecte tous les filtres utilisés, même ceux d’une capture d’écran ou d’une image enregistrée, une technologie qui se fait attendre pour l'instant.
Un débat oppose le bannissement des filtres à leur simple signalement sur une publication. Les utilisateurs des réseaux doivent être conscients des enjeux. La solution seule ne suffira pas, elle doit être combinée à d’autres méthodes de sensibilisation. Par exemple, des campagnes en milieu scolaire, mais aussi pour les parents, car la majorité des individus affectés par les filtres sont jeunes.
À ce jour, il manque des données scientifiques sur le problème et la solution. Des études sont en cours, mais Mme Balbo explique : « On connaîtra des données de manière officielle dans des articles scientifiques dans deux ou trois ans. Les gens, en revanche, peuvent vulgariser leurs informations dans des médias, comme The Conversation ou dans des conférences. » Il reste alors beaucoup à apprendre quant à l’utilisation et à la réglementation des filtres beauté.